Je reçois dans ma galerie d'art contemporain, à une heure de creux (13 h) un gus bien sous tout rapport qui semble s'intéresser aux œuvres, il le fait intelligemment, ça sonne vrai.. Puis il engage la conversation sur le mode intello disert et aimable, en le cas sur la religion -je lui ai dit que j'étais prof de philo- protestant, fervent lecteur de métaphysique et un peu dissident, son discours est assez au point, plein d'humour etc... Il en profite pour s'asseoir et je lui propose un café.
Il est aussi un sportif (plongeur sous marin) et affirme-t-il, est venu à un congrès. Son âge ? Difficile à évaluer, la grande quarantaine; il est à la fois passe partout et hors norme, intéressant, cultivé. Puis il s'en va ou fait semblant car sur le pas de la porte, m'annonce qu'il vient aussi pour un "cercle" car il veut gagner un peu d'argent et il est sûr de son coup," de l'argent, on peut difficilement s'en passer même si on n'y attache pas d'importance, n'est-ce pas?" et il ajoute en riant "c'est la multiplication des pains", j'éclate de rire mais il a réussi à m'intriguer.
Qu'est-ce qu'un cercle? Il m'explique alors que c'est très simple, avec une mise de 100 E on intègre un cercle de trois dans lequel l'argent est en commun, (chacun a aussi versé 100 E)... à charge pour les membres de recruter également une personne qui va intégrer le cercle et du coup en faire "sortir" celui qui l'a recrutée avec 300 E. et ainsi de suite. J'objecte qu'encore faut-il trouver des gens prêts à donner 100 E comme ça, sans garantie, et que démarche est déplaisante. Lui dément puisque ce n'est pas pour faire perdre mais GAGNER de l'argent qu'on démarche des potes, c'est en somme pour leur rendre service, du reste, il me demande si je veux bien faire partie d'un qui ne fonctionne pas encore très bien. Je lui fais remarquer que le gain pour le recruté est hypothétique mais pour le recruteur, réel, et que cela est gênant. Je lui demande de revenir -pour réfléchir à son histoire-...
C'est en fait une arnaque : il faut toujours recruter de plus en plus, exponentiellement, et on a vite fait le tour de relations, amis, puis de la région entière. Oui m'objecte-t-il à notre second rendez-vous mais c'est exactement le principe des banques sauf que là c'est vous le banquier qui gagnez. Pas faux mais je rétorque que le banquier "vole" ses clients, certes légalement, et ici cela revient au même sauf que les "clients" ne sont que trois au départ. Par exemple je lui demande comment on sait que un tel a été recruté par un tel : ne peut-il y avoir des barons exploitant des naïfs? Ces fameux "cercles bloqués" qu'il a maladroitement déplorés, ne sont-ce pas tout simplement des gogos qui n'ont pas réussi à en trouver un autre et/ou qui ont été piégés par des faux recruteurs de leur cercle qui agiraient de ça de là pour pomper 300 E à chaque fois ? Visiblement la question l'embarrasse et il se découvre soudain un rendez-vous urgent. "Vous n'êtes pas obligée de tout savoir ni de le dire" me lance-t-il toutefois avant de partir, légèrement; en d'autres termes, il me propose de faire partie des filous (?)
Peu de temps après, c'est moi qui le contacte car je subodore encore d'autres dessous cachés et ne me trompe pas, apparemment il a eu maille à partir avec la justice, et ô stupeur, avec un aplomb dont je ne croyais capables que des tueurs professionnels, joue les étonnés, non, il ne me connaît pas, il ne voit pas qui je suis, ce que je veux dire, qu'est-ce que c'est que ces histoires de cercles? il ne m'a jamais vue, je dois rêver (?) ou le confondre (!) d'ailleurs, c'est simple, il revient d'un voyage à l'étranger etc.. Hallucinant, un comédien hors pair. A savoir.