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A partir de l'article de Daniel Munevar
Les principales caractéristiques du fonctionnement des institutions
bancaires européennes et l’impact des transformations des dernières décennies
sur leurs difficultés actuelles.
Le fonctionnement d’un système bancaire moderne
Aujourd’hui pratiquement tous les systèmes bancaires opèrent sur base d’un
modèle fractionné de réserves où la Banque centrale exerce la fonction
fondamentale de contrôle. La Banque centrale a le pouvoir de créer ou d’éliminer
des réserves bancaires en contrôlant les bilans des banques l’objectif
étant d’augmenter ou de diminuer l’offre monétaire au sein de l’économie (leur capacité à prêter de l'argent qui a un
impact direct sur l’activité économique.) Les réserves ont
pour objectif le maintien d’un niveau minimum de cash. Ce modèle est appelé fractionnaire car
l’augmentation réelle du crédit lié à l’augmentation des réserves que doivent
détenir les banques peut être un
multiple de plusieurs fois cette augmentation. La raison en est qu’une banque a seulement l’obligation de provisionner
dans ses comptes de bilan une fraction de l’augmentation des réserves d’entre
10 et 20% tandis qu’elle convertit le reste en crédit qui donne lieu fictivement à
l’équivalent en monnaie en circulation dans l’économie. Une augmentation par exemple de 100 euros dans les réserves
bancaires menées à bien par la Banque centrale européenne (BCE) permet une
augmentation de plus de 1000 euros de la quantité d’argent en circulation. Dans
la mesure où une banque qui reçoit l’augmentation des réserves en garde 10%,
cela lui permet de convertir le reste en crédit ce qui donne dans un premier
temps 190 euros en circulation. Si ce processus se répète pour une seconde
banque, la nouvelle augmentation de crédit d’une valeur de 81 euros porterait
l’offre monétaire totale à 271 euros. Si elle se répète un nombre suffisant de
fois, l’augmentation totale de l’offre monétaire arriverait à 1.000 euros.
Le capital propre d’une banque représente en général une petite partie entre 3 et 12% des actifs sur lequel la banque peut compter. Une banque opère donc en grande
partie avec l’argent du public, obtient des revenus en arbitrant le risque d’investissement c’est-à-dire qu’elle capte des dépôts à
court terme du public, qu’elle rémunère par des taux d’intérêt bas pour les
investir ultérieurement dans des projets d’investissement offrant de bonnes
perspectives de rendement à long terme rémunérés par des taux d’intérêt plus
élevés que ceux offerts au public. Le différentiel entre les taux d’intérêt
payés au public et ceux qui rémunèrent les prêts est l'indicateur de
rentabilité de la banque. Le contrôle des dépôts de la
part de la Banque centrale comme nous l’avons signalé fonctionne comme un mécanisme destiné à ce que les banques aient un minimum
de liquidités pour assurer leurs transactions. Mais les Banques centrales exigent qu’elles soient composées d’actifs hautement liquides et à faible
risque, de préférence sous la forme de titres de la dette souveraine. Par
ailleurs, en modifiant le niveau des réserves qu’elle exige des banques, la
Banque centrale peut augmenter ou réduire le multiplicateur de l’offre
monétaire, par exemple dans le cas où la Banque centrale considère que l’offre
de crédit augmente trop, elle peut augmenter le niveau des réserves requises ce
qui oblige les banques à diminuer leurs crédits.
Enfin la garantie des dépôts dans les banques (au cas où la banque éprouverait des problèmes de solvabilité) ne vaut que jusqu’à un certain
niveau . Les banques modernes travaillent avec
l’argent du public mais celui-ci bénéficie d’une garantie de l’Etat. Néanmoins,
il n’existe pas actuellement un système de limitation drastique de
l’utilisation des ressources du public de la part des entités bancaires.
La transformation des banques au niveau international
Les fortes régulations introduites après la seconde guerre mondiale ont amené les grands groupes
financiers à opérer au niveau national ou au niveau régional. Plus important, l’établissement de la limitation du type d’activités des banques pour
les opérations avec l’argent du public bénéficiant d’une garantie de l’Etat on établit une séparation entre banques de dépôt et banques
d’investissement, seules les banques commerciales pouvant recueillir
les dépôts du public bénéficiant d’une garantie de l’Etat. Parallèlement leur champ d’activités avait été réduit aux prêts aux particuliers et
entreprises et excluait l’émission de titres, d’actions et de tout autre
instrument financier. Les banques d’investissement captant les ressources sur
les marchés financiers se sont elles spécialisées dans ce type d’activités.
Ceci a permis d’éviter des
crises financières significatives pendant plus de 30 ans. Cette séparation des
activités a commencé à être affectée en 70 par la croissance rapide du
marché des eurodollars de Londres qui sont devenus le principal mécanisme
finançant les opérations internationales. Comme le centre des opérations du
marché était à Londres et que la monnaie était le dollar américain, il n’existait
pas de système de régulation pour encadrer les activités des entités
financières qui y opéraient. C’est la raison pour laquelle ce marché de Londres
est devenu attractif pour des entités financières aux ambitions globales tant
américaines qu’européennes. L’absence de régulation effective leur a permis de
développer des activités portant les variations du cours des titres, les
actions et les valeurs mobilières (securities) interdits sur les marchés
domestiques tant américains qu’européens.
Un autre développement a été l’accroissement de la sophistication des
marchés de titres et valeurs mobilières, ce qui a permis aux banques
d’investissement de prendre des positions dans les niches du marché sur
lesquelles opéraient les banques commerciales traditionnelles. Du fait de la
garantie par l’Etat des dépôts des banques commerciales, leur clientèle pouvait
emprunter à de faibles taux, ce qui permettait à ces banques commerciales
d’octroyer des crédits à des taux inférieurs à ceux des banques
d’investissement. Seules les grosses entreprises intéressées par l’émission de
titres ou d’actions utilisaient les banques d’investissement. Avec le
développement de ce qui allait devenir les Asset Backed Securities.
(ABS) cette situation a radicalement changé. Les ABS ont permis aux banques
d’investissement de réduire significativement les taux d’intérêt des crédits
proposés à leur clientèle et ont ainsi commencé à entrer en concurrence avec
les banques commerciales traditionnelles et affecter négativement leur
rentabilité.
Il faut pour en comprendre la raison voir la différence entre un crédit
traditionnel et la structure d’un ABS. Dans le premier cas, après une analyse
de risque la banque octroie un crédit et l’enregistre comme un actif dans son
compte de bilan jusqu’à ce qu’il ait été remboursé. Dans le second, l’ABS donne
lieu à la création d’un titre, produit de la somme d’un nombre déterminé de
crédits aux caractéristiques similaires. Les flux d’actifs associés au titre
proviennent directement de crédits individuels. Cependant comme la probabilité
d’impayé d’un grand nombre de ces crédits individuels est inférieure à celle
d’un seul crédit individuel le risque associé au nouveau titre est inférieur à
celui du crédit individuel. Cela permet que le taux d’intérêt de l’ABS soit inférieur
à celui d’un crédit standard. Les banques d’investissement ont par le biais de
ce mécanisme converti de grandes quantités de portefeuilles de crédits
individuels en ABS pour ensuite les vendre sur les marchés secondaires.
Etapes de la création d’un ABS
1 : les ménages obtiennent des crédits de la part d’institutions
financières. 2 : la banque émet un titre sur base des crédits individuels des
ménages. 3 : la banque vend le titre à un investisseur. Le paiement du titre
correspond au paiement des crédits individuels. Les ABS ont eu un impact direct sur le fonctionnement des marchés financiers
en donnant la possibilité aux banques d’investissement de faire concurrence aux
banques commerciales ce qui a entraîné de fortes pressions sur ces dernières.
Elles ont alors à leur tour fait pression sur les organes de régulation pour
que ceux-ci les laissent procéder à l’émission et à la vente de valeurs
mobilières dans le but de concurrencer les banques d’investissement. Tant aux
Etats Unis qu’en Europe, les organes de régulation ont cédé face aux pressions
et autorisé les banques commerciales à participer à ce segment de marché
à condition que cela ne devienne pas leur activité principale.
L’expansion internationale des banques a également eu un effet sur les
cadres de régulation du système financier. La co-existence de différents
systèmes de régulation au niveau national a crée le besoin d’une régulation
unifiée au niveau international entre banques américaines, européennes et
japonaises. L’accord de Bâle qui a donné naissance à des mécanismes pour que
les banques opérant au niveau international soient obligées de provisionner un
pourcentage de réserves par rapport à leur portefeuille global d’opérations en
a été le fruit. Il a été en son temps une conséquence directe des pertes des
banques étasuniennes pendant la crise de la dette de l’Amérique latine dans un
contexte où les organes de régulation étasuniens n’avaient pas obligé les
banques a augmenter leurs marges de réserves par rapport à la croissance rapide
de leur portefeuille de crédit à la région au cours des années 1970.
C’est ainsi que les grandes banques internationales ont commencé un
processus global d’arbitrage en matière de régulation. Elles se sont mises à
exploiter les failles et les contradictions entre les régulations au niveau
national et international. Cela leur a permis de se positionner dans des niches
de marché dont l’accès leur était auparavant inaccessible en raison de leur
modèle commercial. La directive sur les services financiers de 1993 de l’Union
Européenne a été un moment clé de ce processus. Suite à l’adoption du Traité de
Maastricht, la Commission européenne a avancé dans la consolidation d’un modèle
bancaire universel intégrant les activités commerciales et d’investissement
dans un seul type d’entité. A cela s’est ajouté la création d’un passeport
bancaire européen pour permettre à une banque domicilié dans un pays de l’Union
européenne de poursuivre son activité dans tous les autres pays membres. Les
différentes mesures de régulation considérées dans leur ensemble ont alors
commencé à remplacer celles existantes au niveau national et ont contribué
spécifiquement à l’élimination des barrières entre les différents segments de
crédit existant jusqu’alors dans les pays de l’UE.
Pendant ce temps, le développement de nouveaux instruments financiers se
poursuivait outre Atlantique. Dans un contexte caractérisé par une concurrence
croissante entre les banques au niveau international, l’innovation financière
s’est concentrée sur la création de mécanismes permettant la réduction du
risque pour le crédit et par ce biais le pourcentage nécessaire de réserves
bancaires. Cette réduction des réserves bancaires avait un rapport direct avec
la possibilité d’affecter la plus grande quantité possible de ressources à des
crédits pour l’obtention de bénéfices plus élevés.
L’utilisation des ABS a marqué le premier pas dans la réduction des risques
relatifs aux comptes de bilan dès lors qu’une fois que la banque vend à un
investisseur un titre émis, elle libère les ressources associées aux réserves
représentant les garanties liés aux crédits individuels. Le second a été le
résultat de la création des Collateral debt obligations (CDO).
Les CDO sont l’échelon suivant dans la gestion du risque financier de par la
dispersion du risque de défaut de paiement d’un instrument financier. En raison
de la sophistication croissante du marché des titres, les banques ont élaboré
des instruments financiers conformément à l’exigence de rentabilité et de
risques des investisseurs. Les CDO répondent à cela par la création d’une
structure subordonnée de rémunération des titres. Ainsi, un investisseur peu
enclin au risque achèterait une position senior dans la structure alors
qu’un autre investisseur enclin à prendre davantage de risques achèterait une
position plus risquée mais évidement potentiellement plus rémunératrice. Les
rémunérations fonctionnent en cascade. Les premiers paiements se font aux
investisseurs senior et dans la mesure où ils se poursuivent ils
finissent par arriver aux investisseurs aux positions plus risquées. Cependant
en raison de la structure subordonnée du risque et le faible niveau de
probabilités de risque de défaut associé à un paquet de crédits, la plus grande
partie des sections des CDO reçoivent la meilleure note : AAA. En théorie,
l’importance des CDO réside donc dans la possibilité d’augmenter la rentabilité
des actifs d’une banque en échange d’une diminution du profil risque. Or, cette
réduction du risque dans le portefeuille d’investissement de la banque libère
des ressources pour de nouveaux crédits et investissements.
Graphique 3 - Structure d’un CDO
La dernière étape, sans doute la plus dangereuse, en matière d’innovation
financière a été la création des Credit Default Swap (CDS). Les CDS
agissent comme des assurances sur les produits financiers. Comme dans le cas
d’une assurance standard, l’entité qui contracte ce genre d’assurance sur le
crédit s’engage à des paiements réguliers en échange de la protection de
l’entreprise d’assurance dans le cas d’un défaut de paiement ou d’une variation
importante du prix du produit financier. Cependant, - à la différence d’une
assurance classique-, l’entité qui recherche la protection sur un produit
financier ne doit pas être propriétaire ou avoir une quelconque relation avec
le produit pour lequel elle achète la protection. L’avantage des CDS pour la
banque réside dans la possibilité de réduire les réserves de crédit chaque fois
que ledit instrument financier transfère le risque hors du compte de bilan vers
l’entité d’assurance. Cela a donné lieu à de curieuses structures de
financement comme les CDO synthétiques qui combinent des éléments des CDO et
des CDS sans aucun type de contrôle de la part des entités de régulation aux
Etats-Unis ou en Europe.
L’utilisation croissante par les banques commerciales et d’investissement
d’instruments comme les ABS, les CDO et CDS a conduit à un changement radical
du modèle commercial de ces banques. La rentabilité d’une banque commerciale
traditionnelle repose sur le différentiel entre l’intérêt octroyé aux dépôts et
celui payé pour les crédits faits par la banque mais surtout de la solvabilité
des emprunteurs. Dans le nouveau modèle commercial du secteur bancaire
développé aux Etats-Unis, la solvabilité pour les crédits passe au second plan
puisque ceux-ci sont mélangés pour former des titres et vendus à d’autres
investisseurs entraînant la dispersion du risque dans le reste du secteur
financier. La principale source de recettes des banques aux Etats-Unis est
maintenant liée aux commissions demandées aux investisseurs pour la création de
ce type d’instruments financiers. Ce modèle bancaire connu comme d’
"Origine et Dispersion" a comme élément central la création de la
plus grande quantité possible de dérivés financiers susceptibles de trouver
acquéreur sur les marchés financiers internationaux.
Alors que les autorités chargées de la régulation des deux côtés de
l’Atlantique auraient pu intervenir pour faire valoir les lois existantes,
elles sont restées passives ce qui a de fait provoqué l’accélération de
l’innovation financière. Aux Etats-Unis, la loi de Modernisation Financière de
1999 a éliminé les derniers vestiges de la loi Glass Steagall et a
favorisé la création d’énormes corporations financières en mesure de capter les
dépôts commerciaux, d’intervenir en matière de création de titres et d’actions,
d’assumer des fonctions d’assurance et d’investissement direct sur le marché
des dérivés financiers. Cela signifie permettre aux banques de faire des paris
à grande échelle avec de l’argent public garanti par l’Etat.
L’accord de Bâle de 2004 a constitué, au niveau international, la principale
régulation des changements intervenus dans le fonctionnement des banques les
plus lourdement exposées aux marchés de valeurs mobilières et dérivés
financiers. L’accord établit la séparation dans les comptes de bilan des
banques entre deux secteurs : le trading book (registre commercial)
et le banking book (registre bancaire). Le premier comprend tous les
instruments financiers (titres, actions et produits dérivés) non expirés et
destinés à la vente. Devant apparaître dans les comptes de bilan de la banque,
leur prix est celui en vigueur sur les marchés au moment de l’établissement du
compte de bilan. Dans le cas du registre commercial, l’accord de Bâle prévoit
la prise en compte de trois éléments. Le premier oblige les banques à
provisionner des réserves en capital équivalentes à 10% du risque créancier
assumé par la banque et mentionné dans son compte de bilan. Un second élément
se réfère à la composition de ces réserves. Cette exigence connue comme Tier 1
ayant pour fonction de protéger la banque en cas de pertes, ces réserves
doivent être composées d’actifs liquides et dénués de risque. L’accord de Bâle
II inclut la dette publique des pays de l’OCDE |1|
comme l’un de ceux-ci, raison pour laquelle les titres de la dette sont devenus
la principale composante pour des réserves bancaires. Le troisième et dernier
élément est qu’en raison de la présence massive de dérivés financiers dans les
comptes de bilan et leur complexité, ladite analyse de risques pouvait se faire
via des modèles élaborés par les banques elles-mêmes. Cette mesure a de fait
impliqué le transfert de la responsabilité de la régulation financière aux
entités (les banques) qui devaient en théorie faire l’objet de la régulation.
Cela pose la question de savoir ce qui se passe avec les banques en Europe
alors que ces transformations du système se font au niveau international.
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