Blog-note

mercredi 19 octobre 2011

TRISTANE BANON, COMME DREYFUS, UNE HEROINE PAS TOUT A FAIT A LA MESURE DE SON HISTOIRE

 
On s'y attendait un peu.. un peu seulement, mais là, c'est évident. Le livre, très court, semble une lettre codée à des amis, à un petit groupe dans lequel on s'inscrit parfois avec une certaine difficulté, comme dans un restaurant lorsqu'on est contraint d'écouter la conversation de la table d'à côté, intéressante certes mais pas faite pour nous. Des passages mieux qu'intéressants c'est vrai mais l'ensemble n'est pas à la mesure de ce que son histoire aurait pu, aurait emporter.

Sans doute le harcèlement, l'hypocrisie, les rebuffades et les chauds et froids auxquels elle a été soumise de la part des grands de ce monde, en un sens, de son monde, ne sont-ils pas propices à générer le recul indispensable pour parvenir à se mettre en phase avec tous, en tout cas avec moi. Curieusement, c'est un livre qui ne semble pas fait pour le public. En tout cas pour n'importe quel public, un livre d'où nous nous sentons absents. Et pourtant!


Ses petits coups de griffe envers les féministes auxquelles dit-elle elle ne doit rien (mais si, comme toutes vous leur devez), même si après coup, oralement, elle rectifie, sa distance par moment envers Nafissatou d'un tout autre milieu, ses critiques il est vrai mesurées envers sa mère qui la défend et contrairement à ce qu'elle dit, fort bien, en tout cas mieux qu'elle ne le fait elle-même, ses codes successifs de noms, de lieux, de gens, en vrac et allusifs qui n'évoquent aucune image réelle -à l'exception de son chien- donnent l'impression de pénétrer en cachette un milieu dont elle a entre ouvert la porte à un moment de lucidité et de détresse particulières mais qu'il ne convenait pas malgré tout de rendre vraiment transparent, comme si on était un invité de second choix, jouant les utilités parce que d'autres ont fait défaut. Par la porte de service. La question sous jacente est la même que celle que l'on pouvait se poser pour Florence Cassez: si ce drame ne lui était pas arrivé, que serait-elle? Florence, d'une sincérité nature remarquable, le dit carrément à Florence Aubenas: une fille qui ne se soucierait pas de sa propre histoire!

Ceci étant dit, il n'en demeure pas moins que toutes les victimes d'agressions sexuelles, de viol ou tentatives de viol... voire d'autres dols issus de puissants, même infiniment moins graves, se reconnaîtront avec émotion dans le récit : les gens qui vous renvoient de l'un à l'autre; qui vous évitent; vous trahissent; affectent de vous soutenir pour achalander leur boutique; ou, avec un zeste de condescendance, pour poser; qui se servent de vous sous prétexte de vous aider; ou qui prétendent ne le pouvoir en raison de quelque détail controuvé; en un mot la mauvaise foi -et parfois ce sont les mêmes à des moments différents qui ont viré de bord au vent d'autan!-... bref, "toutes ces minimes bassesses qui ne font pas un souvenir et même pas un regret mais qui, mises bout à bout, font qu'au soir de notre vie on ne peut sans dégoût se regarder en face" qui sont le corps du livre ont été ressenties, communes, par toutes les victimes, par toutes celles qui ont subi des dols de ce type OU D'AUTRES de la part de politiques ou d'infiniment plus forts qu'elles..

Mais ici c'est le lecteur qui doit à chaque instant effectuer la démarche vers l'auteure, transposer, trier, un effort auquel il consent parce c'est elle et parce que c'est lui, mais qui agace. Cependant, c'est normal, toutes les victimes ne sont pas comme on l'aurait voulu, comme il semblait évident qu'elles fussent, à l'exemple de Dreyfus lui même qui, dit-on, par sa froideur de militaire rigide et un peu hautain, avait glacé Zola et ses épigones venus le défendre-. Et il demeure pourtant que le témoignage de ce pot de terre qui a eu le courage de se jeter contre un pot de fer est irremplaçable et fera date.

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