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vendredi 23 mars 2012

A partir du film de Giovana Massimetti, doublé en français, Anna Politkovskaïa, une femme seule





Commentaires sur "Anna Politkovskaïa, une femme seule"
monté à partir du film de Giovana Massimetto,

Dans le film, magnifique d’où est tiré celui-ci [coupé, remonté puis sous titré en français] on voit au fil des jours son visage se modifier, devenir plus grave, plus personnel ; son sourire n’est plus le même, la jeune femme aimant vivre, danser, la musique, embarquée malgré elle et cependant tout de suite avec passion dans une histoire qui va l’absorber jusqu’à la mort, la sienne, devient autre. La Tchétchénie.

Poutine n’a pas tort lorsqu’il dit qu’elle est seule : non, elle ne l’est pas mais beaucoup ont peur, peur d’elle, de ce qui se passe à un jet de pierre, de ce que font leurs fils devenus des monstres. En le/s dénonçant, elle dérange, cf l’interview de passants à Moscou filant dès qu’on leur demande qui selon eux l’a assassinée. Elle fascine et inquiète : sa mort soulage Poutine certes.. mais aussi ceux qui disaient l’admirer et c’est sans doute sincère, mais qui de son vivant la préféraient ailleurs.

L’actu a besoin de renouveau : 100 morts font 3 colonnes mais 300, une seulement et ensuite il en faut 600 pour un papier en 3. Il y a inflation de l’horreur, circulation, et Anna, même si elle montre les images de torture qu’elle a réussi à filmer (son dernier sujet) semble ressasser. Elle se sent seule. Elle l’est.

On aime les histoires qui finissent bien, que les méchants soient châtiés, les morts ressuscités, avoir l’illusion de participer, si possible sans bouger, à la victoire du bien, être parmi les bons, or elle interpelle : vous, nous sommes tous responsables. On aime aussi agir ou s’en donner l’impression : or devant ses reportages, la seule réponse est le silence ou la mort. Et on aime vivre : Anna qui annonce en souriant qu’elle va mourir, 21 journalistes ont été assassinés avant elle, sa prédiction est évidente, fait peur et culpabilise.

Dans un système totalitaire petit ou grand, être une icône est ce qu’il y de plus dangereux. Lors de la tragédie de Baslan, ce sont les tchétchènes l’ayant suscitée comme médiatrice qui l’ont sans le vouloir condamnée à mort d’où la première tentative d’assassinat. Or, lorsqu’elle rentrera à Moscou, son téléphone restera muet : une héroïne internationale miraculeusement rescapée d’un assassinat médiatisé dont personne quasiment ne se soucie ! inouï ? Non, c’est ça, le fascisme : le silence, le détournement, l’isolement suscité par la peur.

C’est loin ? Non c’est ici : le totalitarisme se déploie à tous les niveaux, du plus grandiose au plus minime voire grotesque, une question de degré et non de nature. Partout, ses prémisses invisibles. Lorsque vous êtes en lutte hard avec quelques mini puissants coalisés, patron, hommes politiques, notables.. habitués depuis toujours à régner sans souci des autres et des lois et sans jamais être inquiétés, vous vous heurtez alors exactement au même procès: admiration et évitement; les termes mêmes employés sont identiques, vous êtes un fou ou un héroïque (!!) .. que l’on préfère loin ; certains vous évitent pour feindre ensuite n’avoir rien su et se réjouir lorsque vous aurez gagné : on adore que David vainque Goliath surtout si on n’a pas eu à mouiller sa chemise.. Le pouvoir a voulu faire un exemple même si parfois l’exemple a finalement joué à contre sens.

Etrange solitude, une solitude encombrée et d’autant plus pesante. Encore ne risque-t-on pas sa vie, juste son équilibre mais le principe est identique. Parfois ce sont des amis pour qui soudain on est devenu patate chaude quoique dans des conversations perso (avec qui va le rapporter!) ils ne tarissent pas d’éloges. Sincères.

La scène où une voisine furieuse s’en prend violemment à un jeune qui, au lendemain de la mort d’Anna, apporte des fleurs devant l’immeuble déjà jonché : "Partez ! qu’avez-vous à transformer cette entrée en cimetière ! Inconscient ! nous on passe tout le temps devant ! Vous allez tous nous faire tuer. Si elle s’était occupée de ses affaires et de ses enfants, on n’en serait pas là" peut être transposée : ces mots, je les ai entendus exactement ["qu’elle dégage et ne dérange plus la circulation, si elle s’était occupée de ses affaires, ça ne lui serait pas arrivé. Et si on s’en occupe, ça pourra également nous arriver.. et personne ne s'en souciera" etc.] Une différence de degré seulement.

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