Emmanuel Todd : Ne
soyons pas dupes : Bruxelles, les marchés, les banques, les agences de
notation américaines sont des faux nez camouflant la prise du pouvoir politique
à l’échelle mondiale par les plus riches sous couvert de protéger l’argent des
petits épargnants. Les marchés, ce sont tout simplement les plus riches qui ne se battent pas contre les États mais pour les contrôler
encore mieux. Il suffit
d’observer les parcours de certains individus entre la haute administration,
les firmes américaines, Bruxelles et, désormais, les gouvernements pour
comprendre. Si une même caste contrôle les marchés et les
États, l’opposition entre les uns et les autres n’a plus aucun sens."
Je résume : états = marchés et cette soi-disant lutte entre les deux peut se résumer ainsi : l’un coupe les oignons et l’autre pleure.
Vous êtes bien léger avec l’argent des
petits épargnants !
"Je refuse de céder au chantage. Lorsqu’ils
partaient à la conquête de villes, les Mongols utilisaient des otages comme
boucliers humains. Le groupe des plus riches fait exactement la même
chose : ses otages, ce sont les petits épargnants."
Je résume : les états prétendent refuser la
banqueroute pour sauver les petits épargnants alors qu’il s’agit de sauver les
richissimes, c'est à dire eux en tant que personne puisqu’ils s’y sont introduits et les
dirigent. Todd reconnaît que les "petit" riches
passeraient aussi dans la marmite mais pense que c’est inéluctable et qu’au
bout du compte tous profiteraient de la faillite du système actuel.
Questions : dans combien de temps ? Les richissimes
n’ont –ils pas prévu le coup en planquant leur fric ? Cela ne suppose-t-il
pas en aval une révolution complète?
"La faute aux riches !" :
n’est-ce pas sommaire ?
"Non, l’accumulation excessive d’argent dans les
strates supérieures de la société est l’une des caractéristiques de la période avec la baisse des revenus des gens ordinaires qui va de pair, la hausse des revenus
des 1 % les plus riches et, à l’intérieur de ce petit groupe, des
0,01 % les plus riches. Quant à aux États, (théoriquement)
l’incarnation de l’intérêt général.. ils sont prioritairement des État de classe contrôlés par la classe
dominante.
Résumé : rien de nouveau là sauf que cette
classe est à présent surpuissante car mondialisée.
La situation serait-elle meilleure si les
riches étaient moins riches ?
".. Depuis 1990,
l’ouverture des échanges et la libéralisation des flux financiers ont provoqué un fantastique accroissement des inégalités... Le
système est une oligarchie qui contrôle une partie importante des ressources.
Dans ces conditions, la question essentielle n’est pas celle des marchés en
tant que tels, mais celle de cette oligarchie et son rapport à l’État. Il faut
donc l'identifier, analyser sa structure, son mode de vie, sa
composition."
S’agit-il d’un groupe hors sol d'"élites
mondialisées"?
"En fait, il existe plusieurs oligarchies dont les
relations sont structurées par d’implacables rapports de forces. La spécificité
de l’oligarchie française, c’est sa proximité avec la haute administration. Ses
membres ont souvent étudié dans de grandes écoles – sans forcément être des
héritiers - n’en finissent
pas de se faire rouler par les vrais patrons, l’oligarchie américaine. Quant à
l’oligarchie allemande, nouvelle venue dans le système de domination, elle
traite les Français comme des vassaux. Le charme singulier de l’oligarchie
chinoise est son étroite intrication avec le Parti communiste. La gauche
nourrit l’illusion d’une égalité au sommet alors que l’inégalité et
hétérogénéité caractérisent autant le haut que le bas de la structure sociale
mondiale."
Je résume : même au sein de l’oligarchie qui
tire les ficelles, il y a une lutte entre les supers puissants et les cocus
(nos dirigeants).. qui sacrifient en premier leur population (nous).
Si les États ne s’endettaient pas, ils ne
s’appauvriraient pas et n’enrichiraient personne en remboursant leur dette.
"Oui mais le principe de la dette publique n’est pas comparable à celui d'un emprunteur qui
serait coupable d’avoir dépensé sans compter, les peuples devant payer parce
qu’ils ont vécu à crédit. Ce ne sont pas les emprunteurs qui sont à l’origine
de la dette mais les prêteurs, qui veulent placer leurs excédents financiers.
Les riches adorent la dette publique. Un État qui s’endette est un État qui,
grâce au monopole de la contrainte légale, permet aux riches de le contrôler et d’obtenir une
sécurité maximale pour leur argent : des intérêts.
Je résume : la dette est imposée par ceux-là
même qui ont appauvri les états, pour placer leur fric, en gagner encore plus…
et contrôler les états emprunteurs. {Redite, ce sont les mêmes.}
Donc, ce n’est pas la faute des
gouvernements puisqu’on les a poussés à emprunter ?
"Si car ce sont leurs choix fiscaux qui les ont
conduits à se mettre sous la dépendance des plus riches.
[Forcément puisque dans ce sont eux qui
gouvernent.] Exemple, la baisse de leurs impôts leur permet de prêter à l’État
les ressources dont il s’est lui-même privé.. et l’auto-interdiction pour
l’État de fabriquer de la monnaie établie par la loi Pompidou dès 1973 et
rendue efficiente par la Banque centrale européenne à Francfort
supposée être hors de portée de l’État français parachève le tout. Chaque année, les français se
voient ainsi ponctionner à travers la TVA et les impôts directs, 250 milliards
d’euros, dont près de 50 d’intérêts, qui vont à des "prêteurs" c'est à dire des richissimes [qui ont organisé cette situation pour leur plus grand bénéfice]. Les deux tiers
sont d’ailleurs étrangers parce que la fête est mondiale, les riches français
pouvant en contrepartie se gaver de la soumission des États et des peuples [moins riches].
Voilà ce que cache le discours alarmiste et moralisateur sur l’endettement, la faillite du pays... Derrière l’apparente logique libérale du
système, l’État est une machine à rançonner les populations pour les
plus riches."
L’impôt est aussi le fondement de la
démocratie. Quand ils rechignent à s’en acquitter, comme en Grèce, les citoyens
sont-ils des victimes ?
"On a poussé les Grecs à s’endetter pour
pouvoir mieux les étrangler. Sans cesse des publicités nous incitent à
emprunter. Les banques, pardon, les riches, aiment prêter… et les usuriers
saisir ensuite les biens de qui ne peut rembourser. Privatiser les biens de
l’État grec, par exemple."
Ne seriez-vous pas complotiste ? Même si "on" les a poussés, le dealer est-il le seul
coupable de la dépendance du drogué ?
"Le monde de l’oligarchie est un monde de pouvoir
et de complots. En aidant l’État grec, Goldman Sachs s’est comporté en usurier.
Maintenant, ce qu’on appelle "aider" les Grecs, c’est les maintenir en état
d’être rançonnés. La crise de la zone euro n’a pas été fondamentalement créée
par la nonchalance des débiteurs mais par l’agressivité des prêteurs" [qui ont besoin de la dette pour écouler leur matos].
Cette oligarchie, la définiriez-vous
comme une classe sociale, dotée d’une conscience de classe ?
"L’oligarchie se comporte comme une classe
sociale, mais en même temps il y a en elle de l’irrationalité et même un vent
de folie. Je me demande s’il faut recourir à l’analyse
marxiste de l’idéologie ou à la psychiatrie. Pourtant, un groupe social
privilégié n’est pas nécessairement décadent et irresponsable. [Discutable.] À la différence des
nobles français du XVIIIe siècle attachés à l’exemption fiscale, les classes
supérieures anglaises en acceptant une pression fiscale élevée ont conquis le
monde. L’oligarchie actuelle est à mille lieues de cet exemple. Il serait
préférable.. de parler de ploutocratie (gouvernement des riches)."
Je résume: l'excès même du système qui, emballé, "fou", veut toujours plus de profit et pour cela fonce dans le mur à terme avec le crédit et la dette va finir par se retourner contre lui.
Ces oligarques ont plus à perdre que les
autres catégories. L’irrationalité explique-t-elle tout ?
"Ils hésitent entre rationnel et irrationnel. Le
point de départ de la crise de 2008, c’est l’accaparement par la Chine et
d’autres grâce à leurs bas salaires d’une part croissante de la production
mondiale qui entraîne dans les pays riches une compression des revenus et une
insuffisance de la demande. Les salaires baissent alors que la production mondiale augmente. C’est ici que les
États-Unis puissance monétairement dominante découvrent le mécanisme fou du
crédit hypothécaire. Les ménages américains ne s’endettent pas seulement pour
acheter une plus grande maison mais pour continuer à consommer des produits
chinois et à la veille de la crise de 2008 le déficit commercial américain
s’élève à 800 milliards de dollars. Et les États-Unis, forts de leur statut
impérial, font de l'endettement un régulateur à l’échelle mondiale! appelé à compenser l’insuffisance de la demande. Bien
entendu, le système finit par imploser et les revenus comme les importations
par s’effondrer. Les plans de "relance" du G7, G8 et G20 qui célèbre le "retour de l’État", une réaction rationnelle... renforcent en fait le système car la relance n’est pas
financée par la création monétaire – la planche à billets - qui ne coûterait
rien à l’État mais par l’endettement qui permet de sécuriser l’argent des
nantis.. ce qui encourage la croissance chinoise, accélère les délocalisations en Europe, aggravant la crise etc... Le fameux "retour de l’État" n’est rien d’autre que l’officialisation du
pouvoir des riches, nom de code, "les banques" qui, contrôlant aussi les
moyens de paiement des citoyens, l'ont pris en otage pour leur compte.
[Normal puisque ce sont les mêmes!] Si on avait opté pour leur nationalisation, on aurait pu garantir les économies
des gens ordinaires, indemniser les petits actionnaires et sanctionner les
coupables. La vérité de cette période est que l’État est au service de l’oligarchie."
Si la relance profite aux riches – les
prêteurs -, l’austérité bénéficiera-t-elle aux pauvres ?
"Les plans antirigueur sont complètement archaïques,
les gouvernements ont fini par comprendre que les politiques de relance ne
relançaient que l’économie de la Chine et des pays émergents mais refusent
toujours la moindre mesure de protectionnisme national, sectoriel ou européen.
Donc la rigueur peut être un refus passif de contribuer à la croissance de
la Chine, une troisième voie, une sorte de "protectionnisme des cocus". Nous
sommes gouvernés par des imbéciles. Mais il n’est pas exclu que les
gouvernements aient compris que si la relance est impossible et le
protectionnisme impensable, la réduction des dépenses budgétaires dans les pays
déficitaires soit le seul moyen de mettre à genoux les pays exportateurs
excédentaires, en gros l’Allemagne et la Chine, pour les obliger à négocier."
La fascination française pour le modèle
allemand va de pair avec la montée de la germanophobie…
"La germanophobie et la germanolâtrie sont deux façons de prendre
l’Allemagne trop au sérieux. Le gouvernement et une bonne partie des élites
françaises ont adopté un discours germanolâtre dangereux pour les Allemands
eux-mêmes qui se sont enfermés dans l’admiration de leur propre modèle.
L’urgence aujourd’hui n’est pas de les flatter, mais de les arrêter."
Cela fait cinquante ans que la puissance allemande va de
pair avec une démocratie solide.
"Je ne qualifierais pas de démocratique
un pays où, grâce à une prédisposition anthropologique à la discipline, les
sociaux-démocrates ont pu faire accepter une politique de compression des
salaires. L’Allemagne a mené contre la France, l’Italie et l’Espagne une
stratégie parfaitement égoïste d’adaptation au libre-échange en délocalisant
hors de la zone euro une partie de la fabrication de ses composants industriels
puis en utilisant la zone euro comme un marché captif où elle a pu dégager ses
excédents commerciaux. Cette stratégie commerciale est la poursuite d’une
tradition autoritaire et inégalitaire par d’autres moyens."
Vous jouez à nous faire peur ?
"Je ne joue pas. Les pays menacés sont la Grèce, l’Italie, l’Espagne et le Portugal, de démocratie récente. D’ailleurs, c’est pour les sécuriser dans un espace
démocratique qu’on les a intégrés à l’Europe et à la zone euro. Or,
aujourd’hui, les mécanismes
bureaucratico-monétaires qui les étranglent les renvoient en accéléré aux pires moments de leur
passée d'où le risque de voir resurgir l’Italie du fascisme, la Grèce des colonels,
l’Espagne de Franco, le Portugal de Salazar. En démographie réapparaît
l’opposition des années 1930 entre l’Europe nord-occidentale des démocraties
libérales (fécondité 1,9 ou 2 e/femme) et l’Europe
autoritaire fasciste ou communiste continentale (fécondité 1,3 à 1,5). Mais s’il est angoissant de voir l’Allemagne mettre à
genoux ses partenaires tout en s’enivrant de l’admiration que lui vouent les
droites européennes, aujourd’hui, le gouvernement et le patronat ont compris que la fin de l’euro
mettrait l’Allemagne au tapis puisqu’elle seule serait dans l’impossibilité de
dévaluer. Les Allemands sont plus souples qu’on ne l’imagine mais
ils ne comprennent que la négociation franche et brutale. Je ne prédis pas l’avenir ici, je décris le
présent.
L’enjeu immédiat est la crise de la dette. Soyons clair : les
dettes souveraines ne seront jamais remboursées. Même les emprunts allemands...
Nous avons deux possibilités : la planche à billets et le défaut sur la
dette, qui serait selon moi préférable ayant la netteté d’une opération
chirurgicale. Le défaut sur la dette marquera le début de la reconquête de
l’État par l’idéal démocratique, un État aujourd’hui pillé et rançonné par
l’oligarchie financière."
Oui, mais, pour les petits épargnants
français, retraités américains, ce défaut
serait une spoliation .
"Ce sont les prêteurs qui nous spolient !
Pourquoi laisserait-on les prédateurs engloutir ce qui reste du patrimoine
national ? Quant aux otages, les petits épargnants… c’est pour les
protéger que la nationalisation des banques est indispensable. Et cessons de
pleurnicher sur le petit retraité américain, l’Amérique vit à crédit sur le dos
du monde depuis des années. Et ce ne sont pas de petits retraités qui
détiennent les deux tiers de la dette publique française. De plus, un défaut
sur la dette de la France entraînerait des défauts en cascade des autres
nations. Dans cette redistribution générale, les défauts s’annuleraient pour
l’essentiel les uns les autres. [Je ne vois pas comment.] Quelques nations seraient perdantes. À
l’arrivée, les plus coupables – nations ou individus – seront le plus
sévèrement punis."
On peut comprendre que nos dirigeants
aient la trouille, non ?
"Plus le naufrage idéologique et intellectuel de
la société est évident, plus les gens d’en haut dans leur discours de
domination exigent la mise en vente des biens publics et la baisse
des salaires. Et le pouvoir se réfugie dans une sorte de déni munichois :
non contents d’avoir mis en place ce système … des gens supposés être modérés
et compétents nous laissent en état d’impréparation pour gérer son
effondrement. Ne nous laissons pas intimider, une société développée, dotée
d’un haut niveau éducatif et technologique est parfaitement capable de
s’adapter après un effondrement systémique de cet ordre. Nous traverserons une
année très difficile, mais très vite la libération des énergies et des
ressources permettra un nouvel avenir. La délégitimation d’élites médiocres et
corrompues sera une nouvelle jeunesse pour notre pays, un coup de balai moins
douloureux que celui de 1940, un coup de balai pacifique!"
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