Blog-note

jeudi 27 décembre 2012

Newtown. Les Etats Unis, le pays le plus violent qui soit, structurellement. Edifié sur deux génocides, qui perdurent. La vie au bout d'une carte bleue



A partir de Michael Moore. A propos du massacre de Newtown. Un constat accablant. (Bernard Gensane)


Il me parait évident que la prophétie des Mayas s’est réalisée, à ceci près que le seul monde qui ait disparu comme mythe est l'Amérique. Ces massacres sont des symptômes, le haut d'un iceberg. Ils ne vont pas cesser, nous le savons. Cela ne signifie pas qu’il faille arrêter de lutter. Nous aimerions voir voter des lois plus restrictives (interdiction d'armes automatiques ET semi automatiques, de chargeurs comptant plus de 7 balles, plus de contrôles, d’examens de santé…) mais autant ceci contribuera à faire baisser le nombre de morts par balles (à New York où il est pratiquement impossible d’acheter une arme de poing, le nombre de meurtres est tombé de 2200 à moins de 400), autant cela ne mettra pas un terme aux tueries collectives, ne résolvant pas les problèmes fondamentaux qui les génèrent. 

Le Connecticut (20 enfants en bas âge assassinés ce 14 décembre) avait l’un des arsenaux législatifs les plus contraignants, le tueur un casier vierge, jamais référencé chez un marchand, toutes les armes qu’il a utilisées étaient légales, l’école de Sandy Hook avait été fermée à double tour AVANT son arrivée et des exercices de simulation avaient eu lieu pour prévenir un tel épisode… Un point embêtant : il mit terme à son massacre (en se supprimant) quand il vit les flics armés grouillant dans l’enceinte qui empêchèrent donc 20, 40 ou 100 morts. Donc parfois, les flingues, ça marche. Cela dit, il y avait un shérif adjoint à Columbine le jour du massacre et il ne put rien empêcher.


Une nouvelle législation, nécessaire, sera plutôt cosmétique car nos dirigeants perpétuent en notre nom des actions violentes à des fins la plupart du temps immorales.. et dans notre nation, née d’un génocide et construite par un autre (l'esclavage), la vie humaine ne pèse rien ; nous avons "civilisé" le Far West avec le pistolet à six coups ; nous violons, battons et tuons nos femmes à un rythme sidérant, toutes les trois heures une femme est assassinée, une fois sur deux par son compagnon ou par un ex, une femme est violée toutes les trois minutes, battue toutes les quinze secondes. Nous appartenons à ce groupe illustre (Corée du Nord, Arabie Saoudite, Chine, Iran) qui applique toujours la peine de mort. Des milliers d'entre nous meurent chaque année par manque de couverture sociale. 

Pourquoi? parce qu’on le peut! En nous (qui sommes aussi animés de sentiments amicaux) une immense arrogance nous fait croire qu’il y a quelque chose d’exceptionnel par rapport aux "autres". Que nous sommes n° 1 dans tous les domaines alors que nos étudiants sont les 17e en sciences, les 25e en mathématiques (et la philo? mmm ?) et notre espérance de vie la 35e au monde.. que nous sommes la plus grande démocratie de la planète alors que notre taux de participation aux élections est le plus bas de tous en occident. Que nous sommes les plus forts et les meilleurs dans tous les domaines; donc nous exigeons et prenons tout ce que nous voulons.


Et pour cela nous nous conduisons parfois comme des fils de pute, sur le plan général (invasion de pays) ET personnel, ce n'est pas un dysfonctionnement mais au contraire le fonctionnement "normal" d'une nation ainsi construite. Et si l’un de nous pétant les plombs révèle la nature psychotique et les conséquences de notre violence structurelle, par exemple à Newton, Aurora ou Virginia Tech, alors "notre compassion vis à vis des victimes" et "les mesures significatives" promises par nos présidents sont des emplâtres sur jambe de bois. 

Les Américains sont le peuple le plus violent de la terre. 
1 la pauvreté. 50 millions vivent dans la pauvreté, un sur cinq souffre de la faim, la majorité n’a plus rien en fin du mois.. ce qui engendre de plus en plus de délit ou crimes. Les emplois (type de ceux de la classe moyenne) préviennent la violence. Si mon voisin a un vrai boulot et gagne 50 000 dollars par an, y a-t-il un risque qu’il pénètre chez moi par effraction, me tue et embarque ma télé ? Non.
2 la peur, le racisme. Nous sommes un peuple extrêmement peureux si l’on veut bien considérer que contrairement à la plupart des nations nous n’avons jamais été envahis.. Pourquoi avons-nous besoin de 300 millions d’armes? On comprend que les Russes puissent avoir les jetons puisque 20 millions d’entre eux sont morts pendant la 2ième Guerre mondiale. Mais nous? A-t-on peur que les Indiens reprennent le sentier de la guerre ? Que les Canadiens rachètent trop de cafétérias des deux côtés de la frontière ? La grande majorité des armes sont achetées par des Blancs vivant dans les banlieues résidentielles ou à la campagne qui ont peur des noirs ou des pauvres. Quand nous fantasmons sur une agression, quelle image de l’agresseur surgit dans notre tête ? Le môme à tache de rousseur de la maison d’à côté ? non, un noir ou à tout le moins, un exclu.  
3 la société du "moi-je". C’est cette éthique du chacun pour soi qui génère ce délitement. Je me débrouille par mes propres moyens. C’est pas votre problème. C’est le mien. Vous tombez malade, vous ne pouvez payer l’opération ? Pas mon problème. [Ndlr, une collègue mienne, française, en pleine exsanguination -un avortement spontané- se vit un jour refuser une intervention à l'hôpital -suture et curetage- jusqu'à ce que sa carte bleue puisse être débitée et serait sans doute morte à 30 ans si elle n'avait pu obtenir d'un ami qu'il fasse l'avance illico: elle n'était donc pas une "vraie" pauvre -en ce cas elle serait morte- mais juste malchanceuse.] La banque a saisi votre maison ? Pas mon problème. Vous ne pouvez aller en fac ? Pas mon problème. C’est donc une société où on a à bon droit raison d’avoir peur. La vie au bout d'une carte bleue qui dysfonctionne, cela n'a rien de rassurant. Et du reste, ce qui n'est pas mon problème, un jour ou l’autre, le devient.

[J’ai constaté au cours de voyages que] d’autres pays estiment que s’occuper de tous et de chacun bénéficie à l’ensemble. Des soins, des droits universitaires, une assistance aux malades mentaux gratuits... Non pas juste pour "eux", pour des démunis, non, pour tous. Un malade non soigné contaminera d'autres etc.. Donc au bout du compte cela profite à TOUS. Pourquoi nous ne pouvons-nous pas le voir ? Parce que dans de nombreux autres pays, les gens ne se perçoivent pas comme des entités individuelles mais comme les membres d’un groupe sur le chemin de la vie, chacun existant comme partie d’un tout, l'un par l'autre. On aide ceux qui en ont besoin tandis que chez nous on les punit pour cela ! parce qu’ils ont joué de malchance ou parce qu’ils sont dans une mauvaise passe. Pour nous, c'est leur problème. En aucun cas le mien. Courte vue.


C'est la raison pour laquelle les meurtres par balles dans les autres pays sont si rares : leurs citoyens ne sont pas affligés de la mentalité du loup solitaire ou chassant en petite meute et ont reçu durant leur éducation le sens du lien, d’une solidarité totale. Difficile alors de se tuer les uns les autres. Nous, non."


__________________________________

Note. Ce défaut d'éducation se retrouve parfois chez certains, même en France, davantage chez ceux qui manquent de culture, aveugles à l'idée de ce "tout" qui s'oppose à l'égoïsme à courte vue d'une "société de loups" générant la violence, légale ou non. Lorsqu'un élu si minime soit-il affirme à propos d'une injustice flagrante faite volontairement à une administrée "on s'en fout, c'est une femme seule, paumée et sans fratrie, elle n'ira pas se plaindre", c'est ce principe qui est en jeu. Irréel? Non, ça m'est arrivé (lien). Lorsqu'un autre cocu, protestant à bon droit contre des évacuations d'égout (filant droit à la rivière !) et bouchonnant chez lui (! mais seul ce point lui importe).. refuse d'ester dans l'espoir d'obtenir en compensation un avantage qui lui est cher, c'est le même principe qui est en jeu. Car notre société "évolue" vers l'américaine, et cette vision de Moore est un peu idyllique. Cette dérive, paradoxalement, "commence" bas, dans les campagnes recues dont personne ne s'occupe, mais finira si nous n'y prenons pas garde à atteindre les populations des villes sur ce point plus solidaires, plus réactives.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire